La lune

 

La lune

Sur la lune de lait caillé
On voit un bonhomme
Il porte sur son dos
Un fagot de gros bois  

Ça doit être bien lourd
Car il n’avance pas
Il est là chaque mois
Bûcheron d’autrefois  

Sur la lune de néon
On voit un astronaute
Il porte sur son dos
La fusée de retour

 

 

 

 

Il est déjà parti
Il n’y a plus personne
Entre la mer des Crises
Et la sérénité  

Sur la lune de coton
On a peint les yeux, la bouche
Le nez et un gros bouton
Sur lequel dort une mouche  

Toujours on a eu l’impression
Que cet objet astronomique
Était à portée de la main
Familier, mélancolique. 

Raymond Queneau

 

 

Ballade à la lune

C’était dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
la lune
Comme un point sur un i. 

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d’un fil,
dans l’ombre,
Ta face et ton profil ?

 

 

 

 

 

Qui t’avait éborgnée,
L’autre nuit ? T’étais-tu
Cognée
À quelques arbres pointus ? 

Car tu vins pâle et morne,
Coller sur mes carreaux
ta corne
À travers les barreaux. 

Alfred de Musset

 

 

Choses du soir

Le brouillard est froid, la bruyère est grise ;
Les troupeaux de boeufs vont aux abreuvoirs ;
La lune, sortant des nuages noirs,
Semble une clarté qui vient par surprise.

Le voyageur marche et la lande est brune ;
Une ombre est derrière, une ombre est devant ;
Blancheur au couchant, lueur au levant ;
Ici crépuscule, et là clair de lune.

La sorcière assise allonge sa lippe ;
L'araignée accroche au toit son filet
Le lutin reluit dans le feu follet
Comme un pistil d'or dans une tulipe.

La faim fait rêver les grands loups moroses ;
La rivière court, le nuage fuit ;
Derrière la vitre où la lampe luit,
Les petits enfants ont des têtes roses.

Victor Hugo

 

 

 

La chanson du rayon de lune

Sais-tu qui je suis ? Le Rayon de Lune.
Sais-tu d'où je viens ? Regarde là-haut.
Ma mère est brillante, et la nuit est brune.
Je rampe sous l'arbre et glisse sur l'eau ;
Je m'étends sur l'herbe et cours sur la dune ;
Je grimpe au mur noir, au tronc du bouleau,
Comme un maraudeur qui cherche fortune.
Je n'ai jamais froid ; je n'ai jamais chaud.

Sais-tu qui je suis ? Le Rayon de Lune.
Et sais-tu pourquoi je viens de là-haut ?
Sous les arbres noirs la nuit était brune ;
Tu pouvais te perdre et glisser dans l'eau,
Errer par les bois, vaguer sur la dune,
Te heurter, dans l'ombre, au tronc du bouleau.
Je veux te montrer la route opportune ;
Et voilà pourquoi je viens de là-haut.

Guy de Maupassant

 

 

Chanson

Tu as l’âge de tes cratères
Ô vieille lune
Tu règnes sur le cours des mers
Et de Neptune
Méfie-toi de ceux qui plantèrent
Dedans tes dunes
Leurs oriflammes guerrières
Sans gène aucune
Leur vanité de ver de terre
Inopportune

J’aime à la nuit et sans costume
De bain de mer
Nager dans tes reflets d’écume
Dans ta lumière
Faite d’une féerie de lagunes
De cirque d’hiver
Que çui qu’a dit con comm’ la lune
Aille en enfer
Et si à chacun sa chacune
C’est toi que je préfère.

Benoît Morel

Prélune

Quelqu’un achève
Sur une enclume
Un rond de fer

C’est un soleil
Ou une tune
Qu’il lance en l’air

À pile ou face
Face de lune
Joue Lucifer

Quand vient la nuit
La belle brune
Tout en mystère

L’hostie du diable
Dit l’un ou l’une
C’est son affaire.

Benoît Morel

 

 

La lune blanche

La lune blanche
Luit dans les bois
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée

Ô bien-aimée

L'étang reflète
Profond miroir
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure

Rêvons, c'est l'heure

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise

C'est l'heure exquise.

Paul Verlaine