LES MÉTIERS

 

 

Les métiers

Mon jardinier, jardinier d’amour
Dans le jardin et dans la cour
Beau jardinier, tu fait éclore
Des roses pourpres, des roses de feu
Que mouilleront tôt les aurores.

Gentil potier, potier d’amour
Tu fait tourner ton joyeux tour
Tu n’as pas trop de tes dix doigts
Pour forcer cette terre lourde
Å s’arrondir comme il se doit.

Vieux cordonnier, cordonnier d’amour
Tu restes là sur cette chaise
Regardant tes gros clous briller
Comme si tu tenais l’univers
Tout plein d’astres sur ton tablier.

Philéas Lebesgue

 

 

Le cireur de souliers

Aujourd’hui les hommes d’affaires
Ne s’étonnent plus de rien
Quand ils jettent à l’enfant noir
Une misérable pièce de monnaie
Ils ne prennent pas le temps de voir
Les reflets du soleil
Miroitant à leurs pieds
Et comme ils vont se perdre
Dans la foule de Broadway
Leurs pas indifférents
Emportent la lumière
Que l’enfant noir a pris au piège
En véritable homme de métier
La fugitive petite lumière
Que l’enfant noir aux dents de neige
A doucement apprivoisée
Avec une vieille brosse
Avec un vieux chiffon
Avec un grand sourire
Et une petite chanson.

Jacques Prévert

 

 

 

Les effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
.....leurs culs en rond,

À genoux, cinq petits — misère !
Regardent le boulanger faire
.....le lourd pain blond.

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l’enfourne
.....dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
.....chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
.....chaud comme un sein.

Quand, pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
.....on sort le pain.

Arthur Rimbaud

 

 

Le chaland

À l’arrière de son bateau,
Le batelier promène
Sa maison naine
Par les canaux.

Elle est joyeuse et lisse.
Et tranquillement elle glisse
Sur le chemin des eaux.
Et sur le pont, une cage d’oiseau,
Et deux paquets, et un tonneau.

À l’arrière de son bateau,
Le batelier promène
Sa maison naine
Par les canaux.

Il transporte des cargaisons,
Par tas plus haut que sa maison :
Sacs de pommes vertes ou blondes,
Fèves, pois, choux et raiforts
Et quelquefois des seigles d’or
Qui arrivent du bout du monde.

Émile Verhaeren

 

 

Saltimbanques

Dans la plaine, les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises

Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L’ours et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage

Guillaume Apollinaire

 

 

Pêcheur de crevettes

Pêcheur de crevettes,
Quel joli métier !
Le ciel sur la tête,
La mur sur les pieds.

Être balancé
Comme escarpolette
Parmi les mouettes,
Dites, quel métier !

Le filet en fête,
L’écume en collier,
En faire à sa tête
Dans le vent salé,
Quel joli métier !

Maurice Carême

 

 

Prospectus

Si vous allez chez l’épicier
Prenez du poivre de Cayenne,
Une escadre ce soir va-t-elle appareiller
Sur une mer de sauce tomate et de rhum ?

Allez chez l’épicier de la rue Saint-Sauveur
Il y a prime à TOUT ACHETEUR.

Petit garçon qui veux aimer
Connais-tu l’épicier d’amour ?
C’est au palais des Courtisanes

IL Y A PRIME À TOUT ACHETEUR.

Robert Desnos

 

 

Monsieur l’épicier

Il a de la chance !
Il peut grignoter,
Derrière sa balance,
Des caramels mous,
Des petite cachous
Et du chocolat,
Sucer des gabas,
Sans rien demander
Et sans rien payer :
Il a toutes les clés !
Jamais l’épicier
Ne doit s’ennuyer !

Théophile Baudet

 

 

À la petite épicerie

À la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout :
Du sel, des clous, de la vanille,
Du pain de seigle, du saindoux.
À la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout.
Et lorsque c’est la jeune fille
Qui vous demande tout à coup :
« Mon bon monsieur, que voulez-vous ?»
On dirait que le soleil rit
Entre les pommes et les choux,
Dans la petite épicerie
Où l’on a chaque fois envie
De répondre en tendant ses sous :
« Je voudrais de tout, oui, de tout ! »

Maurice Carême

 

 

Chanson du vitrier

Comme c’est beau
Ce qu’on peut voir comme ça
À travers le sable, à travers le verre
À travers les carreaux
Tenez regardez par exemple
Comme c’est beau
Ce bûcheron
Là-bas au loin
Qui abat un arbre
Pour faire des planches
Pour le menuisier
Qui doit faire un grand lit
Pour la petite marchande de fleurs
Qui va se marier
Avec l’allumeur de réverbères
Qui allume tous les soirs les lumières
Pour que le cordonnier puisse voir clair
En réparant les souliers du cireur
Qui brosse ceux du rémouleur
Qui affûte les ciseaux du coiffeur
Qui coupe le ch’veu au marchand d’oiseaux
Qui donne ses oiseaux à tout
Pour que tout le monde soit de bonne humeur.

Jacques Prévert

 

 

La benne

Bientôt entre les mâts dressés
Comme pour les olympiades
Truelles et marteaux attaqueront
Un immeuble naîtra
L’ouvrier qui commande la grue
Hisse pour jouer
La benne vide au sommet
De l’échafaudage
Plus haut, plus haut
Elle se balance
Comme un trapéziste
Trente jours par étage
Quatre planchers
Dix mille fois
Monter, verser, descendre
Plus loin, parmi les
Dans les espaces creux
Les compresseurs frères cherchent le dur
De nouveaux chantiers surgiront
La benne fait claquer ses flancs
Elle sera la première au-dessus.

Georges-Louis Godeau